Emblème du Royaume du Siam, l’éléphant tient aujourd’hui encore une place singulière en Thaïlande. Majestueux, il ne l’est pas que dans notre imaginaire et ici on peut même l’approcher, le toucher, et parfois le dominer. C’est d’ailleurs cette vision qui connaît à ce jour la plus grande controverse, avant la prochaine, puisqu’il a fallu sortir d’une industrie (l’exploitation forestière) pour se diriger vers une autre (le tourisme), où cet imposant pachyderme devait faire rentrer leurs propriétaires dans leurs frais. Après tout, l’éléphant n’est qu’un moyen de transport, du moins considéré comme tel, et balader le chaland dans la jungle sur son dos ça finit par faire mauvaise presse. C’est le bad buzz les mecs, on n’est pas non plus au cirque, on a une conscience, nous! Rentabilisons quand même tout ça, couvrons notre poncho de badges « éthique », « respect », « bio » ou alors sans « OGM » et partons, peut-être, dans un sanctuaire d’éléphants qui ouvre un peu partout en Thaïlande, mais surtout aux alentours de Chiang Mai.
Un marketing de rue hyper ciblé.
Des flyers à destination des sanctuaires ou refuges d’éléphants, on peut dire que ça pullule dans les halls d’hôtel. Les agences qui proposent des tours spécialisés ont pignon sur rue à Chiang Mai, et les touristes se pressent pour y participer. Mais comme ça ne semblait pas suffisant, ces dernières ont même mis sur pieds une stratégie plutôt efficiente, consistant au témoignage des gens du cru. Après tout, si les thaïs eux aussi fustigent, semble-t-il, la maltraitance opérée jadis sur les pachydermes, ils sont nombreux à vanter la nouvelle éthique des centres où les éléphants sont recueillis, et nous invitent par leurs récits, et c’est tout un spectacle, à nous faire notre propre expérience. On se dit alors que le business doit fonctionner à plein régime, en nous laissant, là, dans le fond, un goût plutôt rance. La discussion est très agréable, bascule subitement, puis on a la sensation de se faire blouser. La cible, c’était nous. Fais chier.
C’est au Wat Phra Singh qu’un thaï nous a abordés une première fois. En dérobant le carnet de voyage de ma douce je lis ceci: « A l’entrée du Wat un gardien est assis sur une chaise. Il nous dit que sa sœur vit à Lyon (quelle coïncidence nous sommes de Lyon), qu’il était en vacances en famille et qu’il revient d’un camp d’éléphants assez génial. Il nous chauffe pour y aller, nous sort une carte, nous indique le lieu où réserver. » Et plus loin, sur Samlarn road, » Bref, quelques minutes plus tard, on se fait accoster par un autre thaï très sympa. Il se dit prof d’histoire à l’université (mais c’est fou ça, ma douce est prof à l’université elle aussi!). Il est là avec sa femme qui fait du shopping. Il nous demande ce qu’on a visité… et s’enthousiasme subitement pour le meilleur sanctuaire pour éléphants: le Chang Sanctuary. Il nous chauffe trop! Mais en faisant mine d’en prendre la direction, on se dit: ils sont forts en street marketing quand même!! »
Allez, gavons-nous d’animaux torturés, recueillis, puis soignés, parce qu’on n’est pas des bêtes, hein. Et payons-nous de l’exotisme à moindre frais, divertissons-nous, on n’a quand même pas fait 9.000km pour rien.
Je rêve d’approcher un éléphant, un jour…
J’ai une opinion plutôt tranchée et partisane, et je ne vais pas peser le pour et le contre des refuges. D’autres s’en sont chargés, d’autres encore le feront mieux que moi. Vous pouvez toujours en débattre, pour ma part je n’en ai pas envie. Mon avis peut en réalité se résumer très simplement: je n’aime pas ça. Il y a je trouve de l’hypocrisie dans la démarche. On reste sur une attraction purement touristique où les éléphants voient défiler des hordes venues du monde entier pour les gaver et les arroser jour après jour. Ce rituel ne cesse pas, on est juste passé d’une maltraitance à une autre où la liberté des animaux n’existe pas. Allez Dumbo, trempe-les avec ta trompe, tu les feras crier de joie. Le fait est que les centres accueillent trop de monde, c’est un business, qui part peut-être d’une bonne intention avec une approche responsable et respectueuse, mais c’est un business où on exploite les éléphants. C’est comme ça, et peu importe le choix des mots, il existe même de nombreuses fermes où les témoignages sur des pratiques assez crasses abondent. Ils émanent souvent de ceux qui enlèvent le filtre de l’émerveillement, avec un léger sentiment de honte. Je ne l’aurai pas.
Selfies, chronomètre, mange ta banane pas le temps de la refaire.
Je me souviens, sur la route de Chaing Dao pour notre trek, nous n’étions que deux dans notre songthaeo (pick-up couvert qui sert souvent de taxi collectif), alors que tous ceux que nous doublions étaient plein à craquer, et à destination de ces fameux sanctuaires dont un tout particulier. Oui, celui qui, paraît-il, a servi de modèle vertueux aux autres. Le contraste était saisissant. Il y a aussi eu cette américaine rencontrée lors d’une sortie kayak à Koh Lanta. J’étais curieux d’avoir ses impressions, je lui ai posé des tas de questions, elle était devenue la brochure détaillée de l’un de ces centres où tout est beau, tout est parfait. Il y avait moins de ferveur que ces deux thaïs de Chiang Mai, mais des cartes SD probablement blindées de pachydermes faisant une danse synchronisée… comme la veille… comme le lendemain… comme…
Je n’y suis pas allé, et je ne regrette pas.
MàJ: Je suis tombé sur un article après avoir rédigé mon billet. Je partage, pour ceux qui veulent aller plus loin.
Crédits photos: (1) oovatu; (2) Green Travel; (3) Lannaland; (4) Taiss Nowrouzi.
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Jade
7 septembre 2018 at 19 h 39 min
Je suis bien d’accord, j’aurais fait pareil!
JP
9 septembre 2018 at 8 h 38 min
😉