Voir une tortue marine pondre une centaine d’œuf en pleine nuit, c’est quelque chose de prenant et d’exceptionnel. Nous avons vraiment conscience d’être des privilégiés. Alors, assister au départ des bébés tortues vers leur avenir, c’est unique et magique. Le grand jour est arrivé. Nous avons hâte de les lâcher et de les regarder partir pour affronter leur vie future en mer. Un véritable challenge pour elles, pour le meilleur et pour le pire. Mais avant, il nous faut traverser une partie de jungle avant d’atteindre Sukamade, le sanctuaire des tortues marines et accéder à la plage.
La jungle.
Nous profitons de ce temps de trajet pour découvrir et admirer la jungle au lever du jour. Elle semble s’éveiller doucement dans la brume matinale, sans se presser. Les collines, les palmiers, les hévéas et les plantes géantes se découpent en arrière-plan en déclinaison plus ou moins floutée. L’humidité ambiante lustre les feuilles et nous offre un paysage fantomatique, hors du commun. C’est d’une incroyable beauté, rien que pour nous et on adore ce décor sauvage exceptionnel. Quelle chance !
La mer à perte de vue et le bruit des vagues.
Le jour J.
June (notre guide) nous attend avec deux seaux à la main. Dans chacun d’eux se trouvent 30 bébés tortues, d’environ 10 cm. Trop craquant ! Elles sont pleines de vie, gesticulent, se grimpent les unes sur les autres et n’ont qu’une envie ; prendre la poudre d’escampette le plus rapidement possible. L’éclosion des œufs a lieu environ deux mois après la ponte. Pour ces bébés de 6 jours, il est temps de quitter la nurserie et de partir à l’aventure. Nous reprenons le chemin emprunté la veille en pleine nuit, pour rejoindre la plage et le bord de mer, là où se trouvaient les mamans tortues, la veille.
Avant de les libérer.
C’est l’instant, c’est le moment que nous attendons tous. Mais avant, June nous donne les dernières consignes. Les tortues doivent vont être lâchées toutes en même temps pour traverser 50 m environ de sable et atteindre l’eau. Cela leur permet, en gros, d’activer leur GPS interne. En somme, il leur faut mémoriser l’endroit où elles sont nées pour leur permettre à l’âge adulte, de revenir pondre sur cette plage. Sylvie a pris une petite tortue dans ses mains ; elle pédale dans le vide, pressée de partir. Quelle émotion ! Elle la lâche en même temps que les autres et la surveille du coin de l’œil tout en l’encourageant. Vas-y ma belle, fonce !
La fin avant le commencement.
Contrairement aux autres, sa cocotte ne choisit pas la ligne droite pour aller à l’eau, mais plutôt la tangente et part en biais. Ce n’est pas un bon plan, loin de là. Une mouette lui tombe dessus en piqué, l’emporte dans son bec avec vivacité et n’est bientôt plus qu’un petit point dans le ciel bleu. Tout s’est passé en une fraction de seconde. C’est un crève-cœur pour Sylvie, sa petite tortue va servir de casse-croûte à cet oiseau de malheur. Dure loi de la nature !
Chacun pour soi et Dieu pour tous !
Toutes les autres tortues se précipitent, aussi vite qu’elles le peuvent, en direction de la mer. Elles doivent passer la barrière des rouleaux. Ils sont costauds, mais elles ne se laissent pas rebuter par les vagues qui les roulent et les culbutent. A chaque fois, elles reviennent à la charge et sont toutes frêles face à la force de l’eau. On a envie de les prendre dans nos mains et de les aider, mais il ne faut pas. Alors, elles sont ballottées comme des fétus de paille. Une fois, deux fois, trois fois et c’est enfin la bonne. Elles disparaissent. Comme un visiteur, en possession d’un drone a rejoint notre groupe, son appareil tourne au-dessus de la plage et effraie les oiseaux voraces. Trop tard malheureusement pour le bébé tortue de Sylvie.
Quelles sont leurs chances de survie ?
Tout le monde y va de ses statistiques et nous sommes tous optimistes. C’est vrai quoi, nous on veut qu’elles vivent longtemps nos petites tortues. A votre avis, c’est quoi le taux de survie de ces minuscules bébés, combien d’entre elles vont atteindre l’âge adulte ? Une idée ? Avec June, c’est la douche froide et nous sommes tous à côté de la plaque. Verdict : 1 sur 1000, c’est à n’y pas croire, mais vous avez bien lu. La plupart d’entre elles meurent avant l’âge d’un an. En effet, leur carapace molle ne les protège pas des prédateurs. En somme, aucune de nos petites tortues n’atteindra l’âge adulte. Mais en y réfléchissant, peut-être qu’une des nôtres, au contraire, survivra.
Nous, on y croit dur comme fer. Pas vous ?