Le matin même, on avait prévu un réveil en douceur, 7h15, quand on s’est fait sortir du lit une heure plus tôt pour nous jeter dans un taxi direction la gare d’Oulan-Bator. Une sale histoire. Départ 8h15 pour Pékin, arrivée prévue le lendemain 11h27. Nos sacs étaient bouclés depuis la veille de la même journée 2h, pas nos idées. Dans la précipitation j’ai oublié le bon sens, et j’ai dû malgré moi faire l’économie d’un peu de lucidité. Toute ma lucidité. Mon aventurière quant à elle n’était pas avare sur les bons coins d’Alsace pour la cueillette aux champignons, lorsque, sans vraiment savoir comment je me surpris à observer un grand bocal à cornichons. N’esquivons pas davantage, on partait plutôt mal, on n’était pas frais. Du tout, du tout.
À bord du train, il a fallu composer avec un environnement parfois hostile. Miss et Mister Balec nous fabriquaient de sacrés souvenirs lorsque la douane mongole a embarqué tous nos papiers. Une procédure qu’on avait déjà connue avec les russes et tout leur décorum autour d’un ersatz de fouille. Ça hausse le ton, ça gesticule, pis bon. « Z’avez pas un peu de drogue? Z’avez pas d’la gnôle de contrebande? » Du déjà vu, une formalité, puis le gros morceau est arrivé. L’Empire du Milieu. La Chine.
Changement de pays, changement de bogie.
Sans rentrer dans les détails techniques, le bogie et le chariot sur lequel on fixe l’essieu du train, indispensable pour rouler. Problème, l’écartement des rails entre la Mongolie et la Chine est différent, donc on change de bogie à chaque fois qu’on passe la frontière. L’opération est aussi longue que le trajet entre la capitale de chaque pays, mais si l’on s’en tient à la version sans exagération, elle met tout de même 5 à 6 heures. Tu as bien lu, 5 à 6 heures (nous avons fait de 20h à 1h du mat).
On savait, de source numérique parce qu’on s’était un peu renseigné auparavant, mais aussi parce que le Lonely qui a pourtant pondu un guide spécialisé n’en parle pas, qu’on attendrait longuement lors du passage à la frontière chinoise. Il fallait bien qu’on aille chercher les infos manquantes. Cette attente, pensait-on, devait se faire dans le wagon comme ce fut le cas entre Russie et Mongolie, et moins d’une heure auparavant côté mongol. D’ailleurs, nos appareils photo respectifs étaient de sortie, histoire de ne rien louper de l’opération.
Bon, comment dire. On a un peu été déçu.
Changement de pays, changement de méthode.
J’imaginais me la couler douce, les arpions en éventail, étendu de tout mon long sur mon plumard, que dalle. Branle-bas de combat dans tout le wagon, ça gueule en chinois, non, c’est du mongol, non attends, c’est une cacophonie générale pour un seul mot d’ordre: tout le monde dehors.
Quoi?
Tout le monde dehors, faut décarrer fissa. C’est quoi ce délire? Mais bouge, prends ton sac et tire-toi de là. On arrache à Miss Balec qu’il faut sortir avec nos sacs. C’est la cohue dans le couloir. Faut tout prendre? On ne sait pas, on improvise. Miss insinue qu’on peut laisser deux trois conneries, on se charge du minimum et on le paiera. Dehors les militaires nous installent sous une nuée d’insectes qui rend les voyageurs complètement fous. Il fait nuit, sous le grand projecteur ça grouille et grimpe le long des jambes et dans les cheveux. Mon aventurière flirte avec l’hystérie, mais je ne suis pas jaloux. Un génocide sous les semelles qui croustille comme un biscuit Petit Lu sous la dent, pendant que j’examine quelques regrets. « Bah tu vois, je suis pas sûr qu’on remonte dans le wagon tout de suite, la précipitation fait qu’on a probablement merdé tu vois, j’le sens pas. » Pour seule réponse: « Mes cheveux, mes cheveux, j’en ai dans les cheveux? Aaaaahh!!!! » Mais toujours pas de jalousie.
Check passeport, visa, waiting room. Nous sommes parqués dans une salle d’attente sur 2 étages et 3000m². Je n’ai pas le compas dans l’œil, mais c’était grand. D’immenses barrières dehors limitent l’espace et interdisent l’accès au reste de la ville. Les gens s’entassent d’abord dans le hall, puis dans chaque recoin.
Nus dans le désert.
Le désert de nos espoirs, nos idéaux.
Imagine un peu le tableau, personne ne nous dit rien. On croise Mister Balec et on lui demande à quelle heure rejoignons-nous notre compartiment. Parle pas anglais, mais mime un 2, avec ses doigts. Les doigts de l’enfer, le saligot, 2 comme 2 heures d’attente que nous infirme Miss arrivée sur ces entre-faits. Ceux de l’incompréhension, la déception suivie du désespoir. 2 comme 2 heures du mat, plus de 5 heures d’attente.
Quoi?
Autour de nous le squatte s’installe, il n’est même pas 21h, tout le monde se regarde sans trop comprendre, puis tout le monde saisit. Posons-nous. T’as soif? T’as faim? Tu veux un truc? Attends…
Pas d’argent.
On a pris soin de dépenser nos derniers deniers mongols en participant au 10.000 Tugriks Challenge, que j’ai gagné tu me prends pour qui, et comme on n’imaginait pas sortir du train, on s’était dit qu’on aurait tout le loisir de faire du change une fois sur place à Beijing. Premier écueil: l’excès de confiance.
Wait wait wait, ce n’est pas fini. Une fois notre visa tamponné on s’est rapidement réparti les tâches. D’un côté je me suis mis à glandouiller sévère, sans ça qui peut prédire ce qui aurait pu se passer, faut être alerte, sur le qui-vive, de l’autre, mon aventurière est partie en quête d’un ATM et, ô surprise, elle n’en a pas trouvé. Pas d’ATM (j’apprendrai plus tard qu’il n’y en a pas dans les gares chinoises), j’avoue qu’on en est resté coi. Deuxième écueil: la prise d’information défaillante (ou, le pas de prise d’info du tout).
Un autre pour la route, le seul commerce d’ouvert ne prenait pas la CB et n’acceptait pas les devises étrangères. Troisième écueil: le supplice de Tantale. Tu les regardes, toutes ces personnes diligentes et prévenantes avec leurs rafraîchissements, et t’échafaudes déjà le plan pour les détrousser sec en cas de coup dur.
Enfin, un dernier c’est cadeau, malgré la présence de français et autres ressortissants de la zone euro, personne n’a souhaité nous échanger de quoi nous acheter une bouteille d’eau, même au prix fort. Quatrième écueil: l’indifférence.
Pas d’eau.
Oui parce que l’argent ne fait pas tout, on s’est dit qu’on ferait contre mauvaise fortune bon cœur en rationnant le peu de notre eau. De toute façon, on ne pouvait pas en acheter, pas de yuans. Ah oui, on n’a pas pris la bouteille, voilà le coup dur. Bon, faisons-nous un thé, il y a des fontaines d’eau chaude. Ah, on l’a laissé lui aussi.
« Hey, mais tu sais qu’en milieu hostile pour survivre on peut boire sa propre… »
Regard hostile.
Rappels importants.
Trois fois rien juste une ou deux choses qu’on aurait aimé qu’on nous dise lors de notre passage à la frontière chinoise, à Erenhot:
- Faites du change avant de monter dans le train, il vous faut impérativement des yuans. Impossible de s’en procurer sur place.
- Dans tous les cas, pensez à faire le plein d’eau (bouteilles) pour en avoir suffisamment lors de l’attente à la gare, d’autant plus si vous n’avez pu faire de change ou que votre pécule est épuisé.
- S’il est possible de laisser quelques menues affaires dans le train, gardez-vous de vous délester de ce qui pourrait vous distraire ou vous faire passer le temps. Prenez vos livres et vos jeux.
- Prenez du thé avec sa tasse, vous en avez forcément si vous êtes rompu au Transsibérien. C’est habituellement le genre de chose qu’on laisse dans la cabine (je parle pour moi), mais c’est une erreur, on peut se servir en eau bouillante à la gare, généralement à l’entrée des sanitaires.
Crédits photo: yeowatzup (changement d’essieu); wandering sneakers (salle d’attente).
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Laurent
13 novembre 2019 at 15 h 28 min
Sacré témoignage, c’est pas ce genre d’infos qu’on trouverait dans le Petit Futé!!!!
JP
14 novembre 2019 at 13 h 31 min
Haha, bien vu! 😉
zhara64
26 janvier 2021 at 21 h 32 min
eh bien ça a changé depuis 2007, quand j’ai passé ce spot on est restés dans le train et c’était super, ils ont partagé le train en deux et on a vu le wagon voisin monter à la hauteur de notre toit pendant tout le temps qu’ils ont changé les bogies puis rebelote avec le notre qui s’est hissé à une bonne hauteur. pendant que les autres revenaient au sol.
vue imprenable sur le grand hangar où se passait la manœuvre et sur les ouvriers chinois tout vêtus de jaune comme des dinky toys
ils bossaient comme des fous et il était interdit de descendre sur le quai
j’en ai gardé un chouette souvenir
comme les choses changent….
JP
27 janvier 2021 at 9 h 45 min
Je m’attendais à vivre à peu près la même chose, mais le plan ne s’est pas déroulé comme prévu! 😉