Quand la funeste providence installera dans ton wagon un duo de jeunes balecs qu’elle confinera rien que pour toi dans un compartiment de 2 par 3, ne t’en laisse point conter, sois fier et présente-lui ton doigt levé. Mais le bon. Non parce que faut quand même que je vous dise.
Mais déjà qu’est-ce qu’un balec? Un peu d’étymologie s’impose. Balec, abréviation phonétisée pour dire « on s’en bat les couilles » est ici utilisée comme un nom commun, c’est un genre de nihiliste à la mords-moi le nœud, il se fout de tout, des règles et surtout de nous. Bon, c’est un p’tit con, quoi, un merdeux. Sachant ça, peut-être attends-toi au pire, mais sache que tu es loin du compte.
La toute première impression n’a pas été très bonne. Sur le quai de la gare d’Oulan-Bator, on avait mis loin derrière nous toute forme de croyance aux miracles. 28 heures de trajet jusqu’à Pékin, on n’imaginait pas les passer sans compagnie dans notre compartiment. Pour le meilleur comme pour le pire. Faire des rencontres, échanger quand on le peut puis se regarder dans le blanc des yeux pour retourner faire sa vie, en face les uns des autres. On a simplement été accueilli par un embouteillage de grosses valises en plein milieu, pour qu’on ne puisse simplement pas se mouvoir dans le frêle espace de notre cabine. On n’a jamais compris pourquoi ils les avaient laissées là, elle et lui les balecs, mais j’ai dû tout virer. Il y en avait pour 3 ou 4 tonnes de bagages. Ils renfermaient tout et n’importe quoi rangé de manière anarchique. Un gaspillage d’espace qui nous a fait verser une larme.
Ils ont presque tout déballé pour faire sécher une partie de leurs fringues, jusque sur la moitié du couloir latéral du wagon. À croire qu’elles sortaient tout juste de la machine. C’était un de ces bordel. C’est là qu’on a senti qu’ils feraient fi des conventions. Un gars une fille qui s’en balec, un joli petit duo qui devait bien s’aimer. On nous avait raconté qu’en Mongolie il est recommandé de restreindre ses étreintes publiques, et autres gestes affectueux lorsque l’on voyage en couple. On a eu droit à toute une litanie de belles papouilles qui couraient droit vers le boulard. On fait quoi nous? On s’offusque? On regarde? On filme? On participe? On fait pas les présentations d’abord? Dans le doute j’ai quand même sorti ma caméra.
Deux étudiants de Pékin, on comprendra l’importance de ce détail beaucoup plus tard. Lui aimait regarder ses séries sur son smartphone sans écouteurs, le son à fond pendant des heures. Elle aimait prendre la mouche pour un oui pour un non, elle boudait pour une défaite aux cartes ou un peu trop de fanfaronnades de l’adversaire, elle était une chieuse, une vraie. Les voici, paisibles et beaux.
L’horreur.
Les papouilles, l’étendage, les bouderies, même le smartphone à fond de balle honnêtement, c’était rien.
- La Grande Bouffe.
Une bacchanale de nourriture où l’on salope sans coup férir un beau parterre de pure moquette artisanale, mais pas seulement. C’est qu’un balec, ça bouffe, et pas qu’un peu! Pour quel dessein égoutterait-on le vinaigre de gros cornichons quand il est si facile de se donner la chance d’y mettre un pied? Du jus de viande, de fruit trop mûr, un peu de gras et quelques miettes si nos orteils sont rassasiés il faut faire preuve de gratitude. « Vous êtes des porcs! Vous avez fait de cet espace une porcherie! » Pas d’horaire, du grignotage en continu et j’en oublie les bonnes manières.
- Les équarrisseurs de Dolly.
Je te donne la rèf si tu l’as pas, tu sais, cette brebis clonée… c’est qu’ils se la sont bouffée pendant plus de 24h, ces deux gloutons. En petits morceaux séchés, en galette frite, dans des bocaux à l’effluve printanière d’ammoniac ou d’urine plus vraiment fraîche. Des préparations qui macèrent dans de grandes boites sans couvercle pour embaumer le compartiment. Ça suintait le mouton, le gros cheptel venu des steppes en tupperware, dans une marmite de vieille huile de moteur ou dans un semblant de pot à moutarde Amora. Ok pour balancer les bouteilles vides de vodka dans le désert, mais si je peux faire rentrer un bout d’agneau dans ce joli verre… « Hey, mais faut pas se moquer! » Mais je ne me moque pas, je décris, pour que tu puisses imaginer… mouais, j’ai pas trop d’imagination. Par contre ça sentirait pas un peu le bouc par ici? Ah non! Le mouton! Au temps pour moi.
- De l’ASMR bucco-dentaire.
Quelle est donc cette nouvelle diablerie? Des bruits de bouche et de mastication en veux-tu en voilà. Mâcher le bec ouvert en grand, avec comme mélopée douce des aliments qu’on déchiquette allègrement sous la dent. Tu vois un peu le tableau? Une pure jouissance tant visuelle qu’auditive, qui se déguste sans faire l’économie d’un p’tit digeo avant le dessert. « Hey, tu reprendrais pas une p’tite rafale de postillons? Non parce que si on peut mâcher la bouche ouverte, on peut aussi se parler? Hein, ducon? » Oula. Je m’emporte un peu.
Le combat.
On allait quand même pas se laisser faire face à ce duo de balecs, non mais sans dec! On a lutté avec nos armes. D’abord en essayant de comprendre, mais on s’est heurté à l’incompréhension culturelle et linguistique. Le choc on l’avait déjà pris dans la tronche, et pourtant. On a fait le tronçon Oulan-Oudé – Oulan-Bator avec deux jumelles qui retournaient chez elles et avec qui on a partagé des choses exceptionnelles. Là, on a essayé de se faire entendre en y mettant la forme, avec douceur et je les ai trouvé affables, quand ils ont repris une tranche de viande dégoulinante. Bon, visiblement ça ne marche pas.
On a tenté deux trois idées à l’envolée, quelques phrases. « Mais quelle est dont cette drôle d’odeur? » Aucune réaction. « Ça sent la piaule d’adolescent tu trouves pas? » Rien.
Plus direct. « Mais essuie-toi, putain! » Que dalle. « Mon Dieu comme vous êtes crades! » Toujours pas.
Après avoir récupéré notre moitié de table, imposé une poubelle, on s’est mis nous aussi en mode balec. « Ah ouais, tu te reposes? Pas moi. » C’était stupide, sournois, et je le confesse, ça m’a quand même fait beaucoup de bien. Parfois, c’était tout de même plus compliqué.
Je me souviens d’un grand moment de bravoure quand mon aventurière, choquée de voir encore un amoncellement de victuailles déborder de la table à l’heure du coucher, me demande « tu peux pas leur dire que là c’est franchement abusé? » Et de lui répondre « Attend, c’est pas moi qui dors en bas et qui vais avoir le nez dedans toute la nuit. Vas-y, toi! » Oui parce que dans ces moments la solidarité est primordiale. Se tenir les coudes, faire front ensemble, c’est ça qui compte.
La résignation.
On ne luttait pas à armes égales, il nous manquait l’usage des mots et la compréhension de la langue, qu’elle soit mongole ou chinoise. Ça peut paraître ridicule, mais il arrive que l’information ne transite pas simplement parce que c’est comme ça. Parfois, on charge quelqu’un de faire la traduction et de transmettre les choses aux autres, à charge pour lui de le faire effectivement ou non, il n’a aucune obligation en la matière. Nous étions dépendants de miss balec qui avait un niveau d’anglais autrement plus convenable que mister balec. Il fallait la ménager malgré tout, fermer les yeux sur des tas de choses. Et à nous, personne ne nous disait rien. L’épisode d’Erenhot au poste frontière chinois en est la meilleure illustration. On ne savait tout simplement pas ce qu’il fallait faire. Ça bougeait dans tous les sens, fallait-il qu’on prenne nos sacs, que pouvait-on laisser dans le compartiment, combien de temps devions-nous rester à quai… On n’a pas su la moitié de ce qu’il fallait savoir, elle a seulement distillé l’essentiel, tout le reste, on l’a compris beaucoup trop tard.
Pour l’essentiel on a surtout été confronté à de l’incompréhension mutuelle, même si je reste convaincu que ce duo se composait de vrais balecs.
Maintenant tu prends tout ça, tu le multiplies par 21 millions et ça te donne Pékin, en Chine. Allez, bon voyage!
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Julià
11 décembre 2019 at 1 h 29 min
Tomber sur un balec, c’est déjà pas drôle, mais tomber sur un duo, c’est carrément pas de bol !
JP
11 décembre 2019 at 16 h 03 min
Oui, mais ça aurait pu être pire! 😉