Au vu de la météo de fort méchante humeur chez nos amis bretons, nous changeons notre fusil d’épaule pour des cieux plus cléments. Direction Le Somail pour aller naviguer une semaine sur le Canal du Midi, vers la cité médiévale de Carcassonne. Vite fait, nous réservons un bateau juste pour un couple, mais pas de chance, il est en panne et reste en rade. Nous nous retrouvons donc avec un bateau pour quatre à six personnes. Vous ne voyez pas le problème, nous si, parce que ce plus gros gabarit ne va pas être facile à manœuvrer à deux.
Bon, ce n’est pas le tout, même si aucun permis n’est obligatoire pour piloter ces bateaux, avant de nous lâcher dans la nature ou plutôt sur l’eau, Bernard apprend à se garer le long de la berge et juste deux trois trucs pour le pilotage, pour le reste nada, débrouillez-vous ! L’initiation à la navigation est assez expéditive. On nous donne aussi de la paperasse que nous nous empressons de ranger sans la lire. L’aventure commence ; en tout cas pour nous, c’en est une.
Naviguer sur le Canal du Midi.
Le passage des écluses.
« Dis, tu sais comment on passe les écluses ? »
« T’inquiètes, on regardera les autres faire et on ira après. »
« Dis, c’est pas une écluse là-bas ? »
« Allez, je me gare, regarde bien comment font les autres. »
Mais il en va tout autrement. Là-bas, l’éclusier nous fait de grands signes frénétiques ; « Venez, venez, il y a de la place pour vous » ; nous sommes coincés. Nous entrons dans le sas de l’écluse avec des murs ruisselants à droite et à gauche, juste derrière le premier bateau. Comment fait-on ? On n’en sait rien, on n’a pas vu les manœuvres ; nous sommes de vrais bleus et de vrais boulets.
C’est laborieux.
Les Anglais du premier bateau viennent à la rescousse et prennent l’affaire en main. Bernard reste à la barre et Sylvie fait le manard. Elle doit leur balancer les cordes sur le quai à environ 3 mètres de hauteur pour qu’ils les passent autour des bittes d’amarrage et les lui renvoient pour les tenir lors de la montée de l’eau. Vous avez bien suivi ? Le lancer de corde de Sylvie est complètement foireux et elle doit s’y reprendre à plusieurs reprises avant d’y arriver. D’abord, elle n’a jamais aimé le lancer de poids, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va aimer le lancer de corde. D’’ailleurs, elle le déteste déjà. Cette fois, c’est bon. On attend que l’eau monte et l’on ajuste le filin au fur et à mesure en serrant le bateau contre le mur. C’est fait pour la première écluse ; on devrait s’en sortir mieux à la prochaine.
Se garer le long des berges.
Le soir tombe et il faut maintenant penser à s’amarrer pour la nuit. Bernard révise mentalement les manœuvres d’approche de la berge et Sylvie se tient prête, toujours avec ses cordes. Elle lui fait les recommandations d’usage :
« Tu évites les orties, et puis tu choisis un endroit un peu plat pour que ce soit plus facile pour sauter et tu viens au plus près. »
« T’inquiètes »
On approche et nous sommes à deux bons mètres du bord lorsque Bernard lâche « Saute » « Non » « Si, saute » « ça va pas la tête, t’es beaucoup trop loin ». Ah oui, à bien y regarder, Bernard se rend compte qu’il a mal évalué la distance au motif, dit-il qu’il est contre le vent. Quelle mauvaise foi ! Le deuxième essai s’avère concluant, Sylvie saute et l’affaire est dans le sac. Encore une bonne chose de faite.
Des réveils en fanfare.
Le lendemain matin, dès qu’il y a de l’animation à bord, tous les volatiles du coin rappliquent pour un concert tonitruant. C’est une cacophonie matinale et ils y mettent du cœur. Ils font le tour des popotes, comme les mules d’Oatman pour réclamer des carottes. Et ce rituel se déroule invariablement tous les matins, quel que soit le temps. Les canards ont de vrais radars pour débusquer les plaisanciers où qu’ils aient accosté dans l’attente d’un petit quelque chose pour leurs gosiers.
Au fil de l’eau.
Au début.
Les trois premiers jours de notre périple sont assez bucoliques ; le soleil brille, les platanes apportent un peu de fraîcheur. Les villages qui jalonnent le parcours sont l’occasion de découvrir les spécialités et les curiosités de la région, quand ce ne sont pas les éclusiers qui proposent des confitures maison ou même d’étranges sculptures comme à Puichéric. C’est également l’occasion de faire du vélo le long du canal et c’est royal. Nous avons également tout loisir de contempler le paysage à bord de notre bateau qui file à la vitesse maximum de 6 kilomètres heure.
Nous améliorons notre technique pour les écluses montantes et c’est Bernard qui s’occupe de lancer les cordes à Sylvie en haut du quai. Quant aux écluses descendantes, on pige rapidement le truc et c’est facile. Un conseil en passant, prenez des gants pour éviter de vous abîmer les mains ; nous faisons sans : aïe, aïe, aïe ! Au bout du compte, on ne s’en tire pas trop mal pour les manœuvres, même si cela emmène parfois quelques échanges houleux. Un jour où Sylvie aide une dame pour l’amarrage de son bateau, celle-ci lui dit « Est-ce que vous aussi, vous vous faites enguirlander par votre mari ; moi, c’est tous les jours. » Visiblement, faire une excursion sur le Canal du Midi n’est pas toujours compatible avec la paix des ménages.
Le temps se gâte.
C’est la cata ! La pluie arrive, il tombe des cordes et le temps fraichit. Même le réfrigérateur fait des siennes et tombe en panne. D’un seul coup, rien n’est plus pareil et nous trouvons déjà la balade beaucoup moins agréable. Au passage d’une écluse, nous remarquons un couple portant leur canoë pour passer de l’autre côté. Ils ont l’air d’en baver et semblent complètement transis. Nous les abordons et leur proposons de les prendre à bord pour la fin de journée, voire la nuit, puisque nous avons de la place disponible.
Les dames s’occupent des sacs à dos et les chargent à bord, pendant que les messieurs attachent le canoë sur le bateau. Nos deux invités sont Tchèques, parlent quelques mots de français et d’anglais. Le soir, chacun sort ce qu’il a dans son frigo ou dans sa musette, le tout arrosé d’un petit vin du coin que nous venons de découvrir. Nous avons parfois du mal à nous comprendre, alors nous sortons une feuille et un stylo pour dessiner. Ce sont de grosses crises de fous rires ; visiblement, nous ne sommes pas plus doués les uns que les autres pour le dessin. Le lendemain après-midi, le temps est un peu meilleur et nos invités nous quittent pour la poursuite de leur périple.
Après ce court intermède, nous reprenons le cours de notre voyage au fil de l’eau pour le retour au Somail, notre point de départ. C’est sûr, après cette petite semaine à naviguer, nous sommes maintenant de vrais marins d’eau douce, enfin presque.