Il cimitero delle Fontanelle, une carrière devenue ossuaire (Fontanelle 1/2).

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La plupart des guides ne lui consacrent que quelques lignes, souvent dithyrambiques, où plane une espèce de lueur sépulcrale qui ne viendrait pas nécessairement des crânes eux-mêmes, mais plutôt de cette faculté à ne rien dire, tout en le disant magnifiquement bien. Le lecteur est alors invité à plonger vers ce qu’il ne connaît pas, s’engouffrer là où la majesté tempère la bouffonnerie en saisissant l’échine dans les froideurs souterraines, mais pas tant que ça. Ce sont des nefs de cathédrale où il n’y a pas de courants d’air, seulement la bise dansante des âmes en peine. L’atmosphère est lugubre, et dans la mort, la poussière et les os, Naples vient nous surprendre encore. Le cimetière des Fontanelle révèle son histoire, ses transformations, ses tragédies, mais aussi et peut-être davantage encore, ses mystères.

C’est d’autant plus renversant qu’un tel endroit ne reçoit jamais la primeur de nos envies, notre engouement. Mais Fontanelle a peut-être fini par débloquer quelque chose, qui sans ça nous aurait fait passer à côté du cimetière de Novodevitchi, à Moscou, ou du Père-Lachaise à Paris.

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À la one again.

« Inoubliable. » C’est ce mot-là qui nous a décidés de nous engouffrer dans ce quartier de la ville où nous n’avions encore jamais mis les pieds, Materdei. C’était d’ailleurs à peu près le seul mot de la description faite du cimetière dans notre guide, qu’on n’a finalement pas gardé très longtemps ouvert (non, ce n’était pas le Petit Futé!). Inoubliable, comme le sentiment qu’on avait déjà de Napoli, et immuable comme notre façon de se lancer dans l’inconnu en s’y prenant toujours, oui, toujours à la zob. On s’est donc pointé là-bas dans une absolue décontraction (voir infra, infos utiles).

La première impression est assez folle. L’immensité pour seul ouvrage érigé là comme hors du temps, où les corps ont fini de se décomposer dans une langueur que les touristes eux-mêmes n’arrivent pas à troubler. C’est le calme, la sérénité qui ne règnent alors que pour nous étreindre davantage. Des millénaires de recueillement sembleraient presque suinter des murs de tuf, qui les avalent pourtant comme une éponge. Mais peut-être n’est-ce que ma vue qui se trouble devant la statue décapitée d’un ange, dont j’apprendrai plus tard qu’il s’agit en réalité de la figure de Monacone, la statue de San Vincenzo Ferrer en habit dominicain. Idolâtrie bien étrange pour un représentant sur Terre du Dieu Cadavre*.

C’est alors que je réalise être seul. Happé par une curiosité cheminant désormais loin de la sienne, il n’y a pas trace de ma fossoyeuse alentour. « Merde, mais elle est où? » dis-je en mon for intérieur. Pas âme qui vive, tu parles d’une circonstance, me voilà cahin-caha parmi un tas d’ossements à me lamenter sur son pauvre sort. « Partie si jeune, si vite, dans la fleur de l’âge ô Providence de me… non, mais attends! Qu’ouïs-je? Qu’ois-je? Saleté de conjugaison! Ne serait-ce pas son timbre de voix? Son fantôme, déjà? » et au détour de l’allée je la vois en grande discussion avec un vieux gardien du cimetière. La garce, à peine avais-je dos tourné…

« Alors, on s’encanaille? »

« C’est trop bien, il me raconte toute l’Histoire de Fontanelle! »

Je me suis tapé l’incruste.

Une véritable plongée dans l’Histoire de Naples.

Je crois qu’on s’est parlé dans toutes les langues en n’en maîtrisant aucune, les mélangeant toutes, en inventant de nouvelles sonorités, de nouveaux mots. L’hallu. Et dans cet espéranto improvisé naissaient les fondations d’une Babel indestructible et éternelle, puisque nous nous comprenions vraiment. Enfin, à peu près.

Ce que nous avons pu apprendre valait bien toutes les lectures sur le sujet. En réalité nous dit-il, peut-être le plus impressionnant est invisible, car la majeure partie de ce qui compose cet ossuaire se trouve enterré sous nos pieds. Et c’est ma fossoyeuse qui se regarde le bout des sandalettes. Pensez donc, 3.000m² de restes humains (dont on n’a pas idée du chiffre exact) entassés là, dans cette ancienne carrière de tuf exploitée jusqu’au XVIIème.

La grande peste de 1656.

C’est le premier évènement massivement pourvoyeur de corps dans cette carrière à la destination changeante, si l’on excepte le trop-plein d’âmes des églises de la ville, dont le vestige de certains fidèles a déjà été déplacé. Ce fut également le cas des catastrophes naturelles. Près de 300.000 napolitains périrent de cette peste, et les plus pauvres d’entre eux virent Fontanelle devenir leur ultime demeure.

L’épidémie de choléra de 1836-37.

Fontanelle confirme être le plus grand ossuaire de la ville depuis la peste de 1656. Suite à un règlement sanitaire, on vide également tous les cimetières attenants aux églises et paroisses de la ville dont on interdit alors la constitution d’ossuaire, pour en transférer les ossements restants aux Fontanelle. Finalement tout est resté à l’abandon jusqu’au réaménagement du cimetière en 1872.

Le réaménagement du cimetière.

À cette époque, le chanoine Gaetano Barbati réaménage l’ancienne carrière avec l’aide des femmes du quartier, soutenu par le cardinal Sisto Riario Sforza, en créant une église provisoire au sein même de l’ossuaire qu’il fait ranger selon le type d’ossements (tibias, crânes, etc…) dans les 3 grandes allées semblables aux nefs des cathédrales.

  • L’allée des prêtres.

À gauche, elle abrite les ossements des églises de la ville. Tout au fond se réunissait la Camorra (la mafia napolitaine) pour pratiquer certains rites d’affiliation notamment. On l’appelle le « tribunal », où étaient décidées les condamnations à mort. S’y pratiquaient les serments de sang. Notre guide nous explique en mimant les gestes: on s’ouvrait la paume et on se serrait la main. « On ne pourrait plus aujourd’hui avec le sida et toutes les maladies. Mais bon, à l’époque… »

On découvre dans cette partie de l’ossuaire, la plus intéressante selon moi, la statue de Barbati sous laquelle gisent des époux venus de légendes, qu’on ne peut dissocier du crâne le plus célèbre du cimetière, celui du capitaine. Plus loin, dans une sombre cavité, la statue décapitée de San Vincenzo Ferrer achève de vous glacer le dos.

  • L’allée des pestiférés.

Au centre, elle abrite les restes des victimes de diverses épidémies, en premier lieu celles de la peste. Les restes seraient ordonnés en fonction du statut social du mort.

  • L’allée des pezzentielli.

À droite, on retrouve y les ossements des personnes trop pauvres pour s’offrir une meilleure sépulture.

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Comment s’y rendre.

Le cimetière se situe au 80, via Fontanelle. En métro, l’arrêt le plus proche est la station Materdei. Une fois dehors, c’est avec votre application de géolocalisation que vous allez pouvoir vous diriger, grâce à votre smartphone, et vous rendre compte qu’une petite balade de 10 minutes vous attend.

Sinon, suivez le guide: remontez via Bartolomeo Caracciolo Detto Carafa sans vous préoccuper de rien que d’aller tout droit. Arrivé aux escaliers, descendez-les, tout droit, escaliers, ruelle, vous déboulez sur via Fontanelle, prenez à gauche. Plus loin, l’entrée du cimetière est à côté de l’église Maria Santissima del Carmine. Elle est très colorée, vous ne devriez pas la manquer.

Quelques infos utiles.

  • Prix: l’accès est libre. C’est GRATUIT.
  • Horaires d’ouverture: Tous les jours de 10h à 17h (accès jusqu’à 16h30).
  • Faire une visite guidée: C’est tout à fait possible et même conseillé. Fidèles à nous-mêmes, nous sommes arrivés là sans n’avoir rien prévu du tout, et c’est une véritable chance qu’un gardien nous ait fait la visite, avec toutes les explications, simplement par amour du lieu, l’envie de nous transmettre cette riche histoire. Je crois qu’on a une bonne étoile. Sinon, misez sur un peu d’organisation. On nous a parlé (bien après) de l’association culturelle Insolitaguida avec laquelle vous pouvez faire des visites en français. Leur numéro: +39 338 965 22 88.
  • L’indispensable site du cimetière: Cimitero Fontanelle.

Quand on se perd sur internet, on tombe sur des trucs fous: Histoire et Mesure (Diego Carnevale, Dynamiques du marché funéraire dans la ville de Naples entre l’âge napoléonien et la Restauration : la naissance d’un service public).

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*François Cavanna, Le Hun blond.

Crédit photo d’en-tête: Shutterstock.

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