Kannur, petite ville d’Inde du Sud. Ici, nous apprécions la mer d’Oman à des températures à faire pâlir plus d’un et ses immenses plages. Pour autant, nous retenons plus volontiers l’étrange rituel du Teyyam et la visite d’un atelier de tissage. Ces deux derniers nous plongent dans des univers particuliers. Le premier parce que nous touchons du doigt des croyances ancestrales et le second parce que nous découvrons un monde artisanal d’une autre époque.
Loknath Weavers’s Co-opérative.
Le tissage fait partie de l’histoire de Kannur depuis le XVIème siècle et cette coopérative est fondée en 1955. C’est la plus ancienne de la ville. Au départ, elle commence petit avec 52 métiers à tisser à main. Aujourd’hui, elle en compte 126 et 155 membres qu’elle fait vivre.
Visite de l’atelier.
Évidemment, nous ne pensions pas voir des machines sophistiquées, ni un environnement moderne dans cet atelier. Seulement, nous sommes loin du compte. Imaginez une sorte de hangar éclairé par des néons où des ventilateurs suspendus au plafond tournent à plein régime avec une efficacité toute relative. Les métiers à tisser manuels en bois sont installés de chaque côté d’une allée centrale, quasiment collés les uns aux autres, à la queue leu leu. Il y en a dans plusieurs pièces et une partie est également réservée au filage et à la couture. Tout cela donne une impression générale de fouillis avec des poulies, des cordes et des ficelles suspendues dans tous les coins. On étouffe dans cet espace surchargé et étriqué. Il nous est difficile d’identifier les pièces en cours de réalisation sur les métiers. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les dimensions, avec des fils de nature différente.
Les artisans.
Si le personnel est majoritairement féminin, quelques messieurs sont également présents et sont très absorbés dans leur activité. Avec la chaleur, certains travaillent même torses nus. Tous sont d’excellents professionnels et connaissent parfaitement leur tâche. Le geste est sûr et l’œil vif à détecter les anomalies. Quant aux femmes, même si les conditions de travail sont difficiles et l’espace particulièrement poussiéreux, elles portent toutes un sari traditionnel élégant aux couleurs chatoyantes. Cela apporte une note joyeuse atténuant quelque peu l’ambiance tristounette qui règne ici. Tout le personnel est souriant et accueillant, même lorsque nous jouons les curieux en les perturbant dans leur ouvrage. C’est ça la gentillesse naturelle des Indiens que nous trouvons tout au long de notre circuit moto dans le Kérala.
Les métiers à tisser.
Sylvie connait bien le monde des machines à contrôle électronique permettant le tissage de tissus Jacquard (motifs obtenus en croisant les fils de chaîne et les fils de trame). Pour faire très simple, des harnais (sorte de grands fils très résistants) assurent la liaison entre la machine et le métier à tisser. Nous en sommes ici à des années-lumière. Retour au temps des anciens tisseurs, ceux qui ont fait la gloire et la renommée des soyeux de Lyon sur les pentes de la Croix-Rousse, les célèbres Canuts de l’époque. C’est là que monsieur Jacquard a révolutionné le tissage avec un métier qui porte son nom. C’était en 1800 et des poussières. Nous reculons dans le temps avec ces engins manuels archaïques, actionnés avec les pieds. La concentration est à son maximum et si les mains sont expertes, les pieds nus le sont tout autant. Dressez l’oreille. Vous entendez ? C’est le fameux le bistanclaque ou bistanclaque-pan (joli mot, pas vrai ?), bruit caractéristique et séculaire des anciens métiers à tisser, le fameux claquement.
La production.
Certaines pièces produites sont directement vendues sur place et une partie de la production est également exportée. Cela va du linge de table ou de cuisine en passant par les tissus d’ameublement. Sans oublier des tapis de bain, des housses de coussins ou des saris. Nous sommes sur une gamme plutôt classique, mais très colorée. C’est de l’artisanat local fait main et cela nous séduit. A chaque fois que nous utilisons nos serviettes de toilette à damier, nous avons une grosse pensée pour ces tisserands qui les ont confectionnées pour nous. Elles sont uniques.
Ce qui nous interpelle.
Si nous voyons quelques rares jeunes femmes devant les métiers à tisser ou filer, les personnes travaillant dans cette coopérative sont, pour l’ensemble, d’un âge avancé. Pour elles pas de retraite, ni de repos dans une chaise longue, elles travaillent encore dans des conditions pénibles pour vivre. Malheureusement, tous ces anciens métiers manuels sont aujourd’hui largement dépassés et ne sont plus compétitifs face aux machines modernes. Pourtant, ces ouvriers possèdent des savoir-faire et des compétences inestimables. Néanmoins, le jour de la fermeture de cette coopérative, tout ce patrimoine, cette culture disparaîtront en même temps.
Combien de temps encore cette coopérative va-t-elle continuer à produire et à faire vivre ses membres ? Nous ne le savons pas, mais nous sommes sincèrement touchés de voir ce travail manuel ancestral exécuté sous nos yeux.