Irkoutsk – Un taxi pour l’enfer.

taxi siberie

À chaque étape son anecdote en taxi, moyen de transport d’ailleurs que je n’utilise qu’à l’étranger, faute de mieux, paresse, fatigue, tout ce que tu veux. Cette fois, nous sommes de retour à Irkoutsk après quelques jours sur l’île d’Olkhon, à Khoujir. On doit y passer la nuit avant de remonter dans le train, le Transmongolien direction Oulan-Bator, et pour nous faciliter la tâche on a pris une chambre à côté de la gare. De l’autre côté du fleuve, donc.

Quand on arrive en ville, tout le monde change de trottoir. Faut dire aussi que l’agglutinement de taxis clandestins barre les accès d’une manifestation d’anciens bagnards, faisant long feu de Starmania. Où sommes-nous ? Pourquoi ces mots n’ont aucun sens ? Et, merde alors ! Qu’est-ce que vous nous voulez, vous ? Ils se ruent sur notre navette avant même d’être au point mort, hurlent s’il en faut que ma bagnole est mieux que la tienne, non, c’est faux, peut-être, mais la mienne au moins à quatre roues, répète un peu pour voir, je vais t’en coller une. Tout ceci sans langue déliée et jeux de regards assassins, lorsque sous les projecteurs virtuels la démarche est dramatique. C’est un effet de genre. Ils se taisent tous à la venue de Vinnie Jones.

Et c’est justement lui, que mon aventurière choisit.

Mais, rembobinons un peu.

« Je n’arrive pas à me repérer, et toi ? » « Moi, tu sais… » J’ai dans la tête quelques errances à Chiang Mai en quête d’un comptoir fantôme de vols Nok Air alors je lui dis mouais… j’me doute. Toujours est-il qu’on ne sait pas où le trajet se termine alors je mise un petit billet sur la gare routière. Pari perdu. Ni une ni deux, elle double sur l’office de tourisme, notre point de départ. Pas illogique. Elle perd aussi. Pas plus logique, c’était bel et bien la Bus Station à quelques encablures. On est paumé 100 mètres à peine de notre point de repère, sans GPS sans rien, deux téléphones capricieux qui nous mettent au défi, avant de nous révéler qu’on est quand même sacrément loin. « Mais ? C’est quoi tous ces pélos qui rappliquent ? »

Le pouls s’accélère à rompre la mesure, s’enfuit du regard où d’anciennes angoisses avaient leurs sources et qu’on croyait pourtant taries, mais c’est un lit d’adrénaline pure qui se découvre dans les veines de celle qui me dévisage alors, mais jamais ne sourit. « Tu prends les sacs, » sans interrogation, sec, c’est une injonction. À vos ordres cheffe, abandonné juste là pour me frayer un chemin dans la cohue, direction le toit de l’estafette. Pas le droit de monter ? J’y vais quand même.

Boom ! Pas le temps de dire ouf, le chauffeur claque la porte latérale, remonte dans son camtar et hurle pour qu’on décâlisse tous de là. Bah, vas-y, démarre, que les autres lui font tandis que l’un d’entre eux fait à une armoire sombre « On a beau faire des épithètes à la con, finalement, tu l’auras bien gagnée ta journée ! » Mais l’autre a le regard glacial, trois têtes au moins plus haut que les grands gestes d’une aventurière en perdition… à moins qu’elle me fasse signe de les suivre.

Attends, l’armoire là c’est Vinnie ? Vinnie Jones ?

15 ans de goulag et sur le visage les stigmates d’une envie farouche d’en découdre à chaque instant. Pas pour survivre, simplement par plaisir. Vinnie, ce bon vieux Vinnie. La gueule ravagée dans son cuir sale, voix caverneuse, clope au bec, avec des mains de charpentier que s’il t’en colle une, j’aimerais pas être ta tête. Je retiens mon ingénue. Attends, c’est ce mec-là qui va nous conduire ? Oui. Combien ? 10€. C’est un peu cher, même pour deux, t’as bien demandé pour nous deux ? Oui, je crois. Comment ça tu crois, t’as négocié 10 balles pour nous deux ? Normalement c’est bon. Et ça, dans son langage ça veut dire attention à la grosse douille.

Lorsqu’on arrive à son tacos, il y a une vieille Hyundai volant à droite qui baigne échouée dans une grande marre. Me dis pas que c’est elle, sa caisse, c’est une épave. Il me désigne le coffre pour que j’y mette nos sacs et je mime un mec en train de nager pour s’y rendre. Lui, mime un mec qui se noie maintenu sous l’eau par deux immenses paluches et laisse échapper un rire spectral en désignant la grandeur de ses mains. Chaude ambiance lorsqu’on prend place entre les détritus de cette voiture à l’atmosphère de tabac froid. Y’a pas de ceinture qu’elle me dit. Il y a donc un espoir, je fais, d’autant que mon appli GPS enfin s’emballe. Franchement, on devrait vite arriver, mais Vinnie ne l’entend pas de cette oreille et commence à faire des tours. « Nous emmène où ce con ? » Là où personne ne souhaite aller, on va se faire dépouiller fissa qu’on n’aura plus d’oboles pour Charon. « Alors tu vois, à quoi ça servait de négocier ? »

La garce.

En attendant, le gars nous balade dans les ruelles les plus moisies d’Irkoutsk pendant des plombes. « Il cherche quoi ? » Un endroit sans témoin. « Mais il va où ? » Aux portes de l’enfer. « Mais, c’est quoi ce truc gluant par terre ? » Un bout de chair du précédent client, putain, pourquoi tu nous as fait monter dans ce tacos de merde, le mec on dirait Vinnie Jones il va nous égorger, t’as vu Snatch ? « Non. » Arnaques crimes et botanique ? « Non plus. » Coup dur, pas moyen de l’angoisser en la ramenant avec ma pop culture. « T’as qu’à faire semblant de téléphoner, ça marche, nous tuera pas. » Nous tuera pas, nous tuera pas, n’empêche qu’on est à Kraysneft ça fait 5 minutes qu’on poireaute et que le gars prend pas d’essence, sans déconner y’a aucune autre bagnole, c’est pas louche peut-être ? « Si, c’est louche. » En plus, t’as même pas négocié.

On roule, ça ne s’arrête plus, derrière la vitre le défilé incessant de nos émotions. Lorsqu’on pense être proche, il bifurque. « À tous les coups, il décrit un pentacle avec son itinéraire bizarre. » C’est sûr, mais t’aurais dû voir les films de Guy Ritchie, c’est pas un mauvais réalisateur, tu sais. « Si j’avais su… »

Oh et puis zut, une dernière photo pour la postérité. Vas-y, regarde-moi. Souris. Essaye de sourire…

Quand il nous dépose enfin devant notre hôtel, le Good Cat, on se fait fumer comme prévu question tarots, avec presque l’envie d’y filer un pourliche de ne pas nous avoir fumés tout court.

(ici la Bus Station)

taxi irkoutsk

Le taxi à Irkoutsk de ce que j’en sais.

Deux expériences, quelques fondamentaux.

Il existe les taxis Maxim, Yandex, Poehali (plus cheap) à Irkoutsk, mais soyons honnêtes, vous aurez plus souvent affaire avec des taxis clandestins, des VTC improvisés en somme. Dans ceux-ci, pas de compteur, je crois qu’il n’y en a jamais, la course est toujours négociée avant avec le chauffeur où les arnaques vont bon train, à plus forte raison quand on ne parle pas russe. On s’est fait avoir la seconde fois, la première aussi remarque, mais comme on était trois la pilule est mieux passée.

Partout où il y a du voyageur il y a des taxis clandestins : bus station et gare ferroviaire en tête, vous n’aurez pas besoin de chercher puisqu’on vous saute dessus pour vous proposer de vous déposer. Ailleurs, il suffit de tendre la main comme si vous faisiez du stop (pas besoin de faire le pouceux) et attendre. Si un taxi officiel passe par là et qu’il est libre, il s’arrêtera, sinon quelqu’un qui voudra se faire quelques ronds le fera tout aussi bien.

Vérifiez qu’on vous emmène bien là où vous voulez aller, on s’est fait blouser une fois.

Enfin, évitez de vous faire des films, on est en Sibérie pas à Hollywood, et surtout, évitez de monter avec Vinnie Jones.

 

Si vous n’avez pas vu les films dont j’ai parlé, il est temps d’y remédier: Snatch, Arnaques crimes et botanique (liens affiliés).

Crédits photo: (1) Denis Sinyakov; (2) go-trans-siberian.

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